Georges Fourneret a rédigé un récit poignant des combats de Crouy
au nord de Soissons le 15 janvier 1915
La mort du commandant Biget dans ses bras
et la disparition de son lieutenant de compagnie Louis Guyétant
« Le champ de bataille est un charnier.... »
JDMO  Janvier 1915
     À son attachement pour le petit pays, pour la famille il joint une foi vive, une croyance ardente. Il est catholique de toute son âme, de tout son cœur. Il l'est simplement sans ostentation. Il se confesse, il communie régulièrement afin de se trouver prêt devant la mort qui guette. Sa foi procède d'une haute morale, d'un sentiment très élevé du devoir, d'une hauteur de pensée qui dépasse les cimes ! Il est catholique comme il est soldat, au demeurant, totalement.
 
     Noël, le Nouvel an arrivent, apportant au bataillon les petites réjouissances que tous les soldats ont connues. Hélas ce sera pour le lieutenant GUYETANT le dernier Noël, les dernières joies. Quelques jours encore d'instruction, de remise en mains, d'attente puis brusquement, un beau matin de janvier c'est le départ pour les lignes.
 
     Je revois encore à près de trente ans de distance ce départ matinal. La cour immense entourée de bâtiments de culture de la ferme de VILLEMONTOIRE, les énormes tas de fumier, les attelages de bœufs, les milliers de moutons bêlant à l'envie et dans ce réveil d'une sorte d'usine le rassemblement bruyant d'un bataillon qui sait ne pas devoir revenir au même point. Sur son cheval, un ridicule petit cheval bai brun, le colosse qu'était le commandant BIGET attend, la pipe entre les dents que les compagnies soient rassemblées. À la 6ème, celle que commande le petit lieutenant GUYETANT c'est l'affairement des grands jours. On s'assure n'avoir rien oublié, on serre les dernières courroies, on boucle, on s'interpelle.
 
     Puis en colonne par quatre (c'était la formation de route à l'époque) on s'ébranle sur un commandement et après avoir défilé devant le commandant on dévale la pente sous la grisaille du jour. Nous parcourons les vastes étendues soissonnaises de ce pas mesuré et lent du fantassin français. Devant nous, à droite, à gauche de la route, des labours, des prés, des bois, des champs encore, paysage typique de la plus riche terre Française. De temps en temps un lièvre, des lièvres plutôt (car ils étaient nombreux) traversent les labours provoquant les lazzis des troupiers. On chante aussi, car l'étape sera rude, on blague, on parle du pays, de la petite patrie, des mille misères du soldat.
 
     Où va-t-on ? Nul ne pouvait le dire. On se dirige vers le nord, on s'infléchit à l'est et jusqu'à midi les kilomètres succèdent aux kilomètres. Cependant, dans le lointain, le canon gronde, de manière continue. Chacun essaye de savoir, on parie pour un secteur, on parle d'un embarquement, on voudrait être sûr et toutes les hypothèses s'affrontent. On ne doute pas d'aller à la bataille et c'est au fond du cœur la petite angoisse que tous les poilus ont connue.
 
     Ce que les troupiers ne savaient pas, ce que savaient bien vaguement les officiers, c'était la situation du front de la 6ème armée à laquelle nous appartenions. Le 10 janvier cette armée attaque au nord de SOISSONS pour la prise de l'ÉPERON 132 qui domine la plaine et se trouve aux mains des allemands. C'est une attaque furieuse, appuyée par toute l'artillerie de secteur. L'opération réussit d'abord et nos troupes s'emparent de la position. Pendant vingt-quatre heures elles s'y accrochent, s'y installent et croient y être solidement maîtresses du terrain.
 
     Mais bientôt vient la contre-attaque. L'ÉPERON 132 est situé dans un bois que les obus ont ravagé, les mouvements sont rendus difficiles car l'Aisne est en crue, on se bat dans la boue, dans un terre bouleversée, un sol marmité qui devient un chaos. Nos hommes sont harassés et malgré nos prodiges de courage, refoulés au delà de la position. C'est alors que le commandement appelle la 44ème. Elle doit venir à la rescousse, reconquérir ce que d'autres ont perdu.
 
     Aussi l'étape du 12 janvier devait-elle marquer dans les annales du 2ème bataillon. Après la grande halte, vite expédiée, le bataillon reprenait la route et vers huit heures du soir parvenait enfin à Soissons. La ville est sombre, un lourd silence pèse sur ses murs, coupé seulement du bruit des équipages et du grondement du canon. Les lueurs des coups de départ s'accentuent. Nous sommes là, affalés le long des trottoirs, près des faisceaux de fusils. On distribue en hâte du pain, du fromage, du vin puis l'on repart dans la nuit plus profonde. À neuf heures le bataillon traversait l'Aisne et quelques moments plus tard était rassemblé à l'intérieur de la grande verrerie de VAUXROT, au pied de la route qui conduit à la COTE 132. Je revois toujours un alignement de sacs, car on venait de nous avertir de notre intervention immédiate et on allait attaquer sans sacs de manière à être plus légers, ces faisceaux à la lueur de quelques lanternes, ces visages de poilus prêts pour l'assaut. Le commandant a rassemblé les officiers, les sous-officiers. Il leur indique le rôle dévolu au bataillon, la nécessité d'attaquer durement, la mission d'honneur qui nous est confiée. Il donne ses ordres et l'on revient vers les hommes.
 
     Le lieutenant GUYETANT avec sa compagnie est en tête du bataillon. Par le bois, la gauche de la route il doit foncer, aller de l'avant et en liaison à droite avec le 60ème refouler l'ennemi. Louis GUYETANT se montre ravi de l'aubaine. Il a sa figure des grands jours, celle que devait avoir un Guynemer ou un Bournazel au moment du combat. À sa gauche la 5ème compagnie qui marchera à sa hauteur. Les 7ème et 8ème marcheront en soutien. Le commandant BIGET suit la 6ème avec sa liaison. De cette manière il dirigera mieux le combat. On se met en route. Il est maintenant trois heures du matin.
 
     On escalade les pentes, on enjambe des cadavres, on serre davantage son fusil tandis que les obus français commencent à éclater devant nous. Bientôt une, dix mitrailleuses allemandes se dévoilent : les baïonnettes sont hautes, les coups partent. Un cri de "En avant" se prolonge parcourant la ligne : c'est l'assaut.
 
     Louis GUYETANT, une fois de plus fidèle à la tradition des cyrards à mis le casoar au sommet du képi, il a enfilé les gants blancs, il a le revolver au poing. Il va se battre, donner l'exemple, être lui-même. La promotion de "Montmirail" peut être fière de tels hommes. L'assaut se poursuit irrésistible, les allemands surpris de cette violence hésitent et chancèlent. Les cadavres s'accumulent, les leurs mélangés aux nôtres, il y a des corps à corps furieux, des combats à la baïonnette, des cris, des hurlements de colère et de douleur et quand le jour se lève, un jour sale, gris, terne, dans un froid humide et pénétrant, la cote 132 est à nous mais à quel prix ! Le champ de bataille est un charnier. Des corps jonchent le sol, zouaves, fantassins, allemands ont arrosé de leur sang cette terre jamais satisfaite.
 
     On se regroupe enfin, on se reconnaît, on essaye de remettre un peu d'ordre dans ce mélange d'unités. Le lieutenant GUYETANT parcourt la ligne, organise sa défense, établit ses liaisons mais s'aperçoit bientôt qu'il est en extrême pointe, à droite, à gauche, les unités voisines n'ont pas suivi à la même allure.
 
     Les allemands qui ont sur nous l'avantage du nombre ont encore des troupes fraîches. Ils organisent une contre-attaque. C'est à ce moment qu'à mes côtés en voulant parcourir un boyau plein de cadavres le commandant BIGET est frappé d'une balle au ventre à bout portant. Il pâlit, s'affaisse, tandis que nous nous précipitons. Celui qui l'a tirée n'ira pas loin. Il est abattu aussitôt. Le commandant s'évanouit puis reprend connaissance.  Tête sur des fusils, car il n'y a pas de brancard, on emporte ce magnifique officier. Il me tient la main. Il ne la lâchera plus jusqu'à la verrerie où nous le transportons. J'ai pu déboutonner la culotte, dégrafer la vareuse. La plaie est béante, les intestins à nu. Le commandant sent qu'il va mourir. Il me dit "Vous écrirez à ma femme, à mon ami Girod, vous leur direz que je suis mort en Français puis "Je souffre". Enfin, à la route un brancard est trouvé abandonné. On y installe ce beau chef que j'accompagne à la verrerie où on peut l'étendre sur un lit. Là le médecin vient l'examiner, se retournant il me dit : "Mon pauvre vieux, le commandant est perdu ! La péritonite est déclarée. Il sera mort dans quelques heures". Je laisse là mon commandant pour aller rendre compte au capitaine FRANÇOIS de la 7ème compagnie à qui il a passé le commandement du bataillon. Tristement je prends à travers bois, j'arrive au PC et rends compte. Un court moment fusent sur ma droite des cris "les boches attaquent" ! Je vois des vagues succéder aux vagues sur ma gauche. Le lieutenant GUYETANT a pu grimper sur un rebord de tranchée. Il a pris un fusil, il tire, il commande, tandis qu'autour de lui la bataille fait rage. Mais, bientôt d'un ravin je vois monter d'autres allemands. Dans moins de cinq minutes ils seront là, nous prenant comme dans une nasse. On tire sur eux, en vain, ils avancent toujours. Je vais aller le dire au lieutenant mais je ne puis en approcher. Il faut partir. À côté de moi le lieutenant Buffet du 60ème ordonne le repli de ses hommes et le nôtre. Nous nous glissons à travers bois.
 
     Il était temps ! De toutes parts les allemands arrivent encerclant le malheureux bataillon que la mort de son chef a privé de direction. C'est à ce moment que Louis GUYETANT malgré son héroïsme tombe au milieu de ses hommes, inondant de son sang généreux la terre qu'il venait de conquérir tandis que l'ennemi faisait de nombreux prisonniers.
 
     Pendant quelques heures on a pu nourrir l'espoir que tout n'était pas dit. Mais au soir du 14 janvier il fallut bien se rendre à l'évidence. Nos camarades n'en revenaient pas. Dans notre détresse un vague espoir subsistait : celui de le savoir prisonnier. Cette légende naquit et c'est ainsi qu'on pu croire au retour possible de Louis GUYETANT. Nul ne l'avait vu tomber. Ce n'est que par la suite, son corps n'ayant jamais été retrouvé qu'il fallut bien se rendre à l'évidence. Il était mort pour la France qu'il avait bien servie, comme il était tombé pour le Dieu de justice qu'il avait adoré.
 
     On ne vous a pas retrouvé lieutenant Louis GUYETANT ! Vôtre corps s'est intimement lié à la Terre soissonnaise. Vous êtes tombé en héros simplement, donnant de tout votre cœur à la Patrie votre ardente jeunesse et votre sang comtois ; Votre âme s'est envolée vers ce Paradis réservé à ceux qui n'ont jamais eu rien à se reprocher. Vous avez été un exemple. Vous avez été le chef que vous rêviez d'être. Votre rêve était beau comme votre idéal. Votre mémoire ne peut qu'exalter les enthousiasmes et faire naître des vocations.
 
     Et puis votre héroïque exemple n'allait-il pas servir davantage encore ? Le 24 janvier 1915, à peine aviez-vous disparu qu'un jeune homme, un enfant presque, de 17 ans, arrivait au front pour prendre votre place. Votre frère Paul(4) , cette "petite fille" engagé volontaire qui allait écrire à son tour une des plus belles pages de notre histoire.
 
     Je vous ai bien connu lieutenant Louis GUYETANT mais j'ai mieux connu encore Paul, notre Paul. Il a été mon élève, il est devenu un ami, il a presque été mon frère et à écrire sa vie, sa courte vie  les larmes s'échappent de mes yeux même après un si long temps. Tous deux vous étiez d'une essence spéciale, d'une trempe d'acier et vos esprits comptaient parmi les plus rares. Au moment d'aborder cet autre récit, les souvenirs m'assaillent en foule. Pour vous, Louis, la vie terrestre s'envolait, l'existence bien remplie était terminée et votre vie de soldat pouvait s'enorgueillir de la croix de chevalier de la Légion d'honneur si vaillamment gagnée.
 
     À titre posthume elle vous a été donnée avec la citation suivante à l'ordre de la division :
     "Le 13 janvier 1915, devant Soissons, a brillamment conduit sa compagnie à la  contre-attaque dans un terrain miné d'obstacles de toutes sortes ; s'est solidement établi sur le terrain. Dans la nuit et dans la matinée du 14 a résisté grâce à son énergie, à son activité, à son ascendant sur la troupe, à tous les retours offensifs de l'ennemi. Est tombé au moment où son unité où restée sur place, ayant été encerclée, il tentait pour s’échapper avec sa troupe un effort désespéré.
      La Croix de Chevalier de la légion d'honneur a été décernée à titre posthume à Louis GUYETANT"
 
                                                
GEORGES FOURNERET A ÉCRIT L’ÉLOGE DE SON LIEUTENANT
LOUIS GUYETANT
DISPARU À SES CÔTÉS LE 14 JANVIER 1915 À CROUY
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La cote 132
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     Le 20 septembre 1914, sur le plateau au Nord de Vic s/Aisne, une pénible nouvelle me parvenait en fin de journée. Victime d’une abominable injustice je devais changer de régiment ! Et après avoir cependant fait mon devoir, simplement comme tous, j’étais affecté au 44ème, l’autre régiment de la 27ème brigade.
 
     Je réunis mes petites affaires de soldat et après avoir pris congé d'un officier qui commandait mon ancienne compagnie et que je devais retrouver bien souvent par la suite, le capitaine DUFFET, je rejoignais le 2ème bataillon du 44ème d'infanterie.
 
     Mon nouveau commandant me reçu d'une manière bourrue. Colosse, haut en couleur, le nez légèrement retroussé sur une forte moustache, la pipe au bec, le képi sur l'oreille, il me dévisagea de la tête aux pieds ! Le commandant BIGET avait l'habitude des hommes. Après un bref interrogatoire, il fit appeler le commandant de la 6ème compagnie(1)  à laquelle il m'affectait.
 
     Et je vis s'avancer d'un pas léger et souple un petit saint-cyrien au képi rouge et bleu de ciel, l'air timide. De beaux traits, une esquisse de moustache brune, un œil où la malice le disputait à l'intelligence, tel m'apparut le sous-lieutenant Louis GUYETANT. Il m'emmena dans un petit morceau de tranchée couverte d'une vieille porte arrachée d'un hangar et me mit en confiance tout de suite. "Dès ce soir nous irons à la patrouille ensemble ! "
 
     C'est ainsi que par un soir d'automne 1914, sur cette terre où nous nous battions pour essayer de repousser l'envahisseur, tandis que les derniers rayons de soleil disparaissaient à l'horizon, je fis la connaissance de celui dont je vais, bien modestement bien imparfaitement retracer l'histoire. Il devait, jusqu'à l'heure de sa mort être pour moi un chef sûr, un guide précieux, un ami presque, comme il l'était de tous ceux qu'il commandait.
 
     Ce qu'était notre vie pensant cette période ? La MARNE est passée, les beaux jours de combat victorieux sont enfuis. Maintenant c'est l'arrêt sur la ligne de l'Aisne, le stagnation dans les champs de betteraves où se creusent hâtivement tranchées et boyaux, la période des longues attentes sous le brouillard et sous la pluie coupée d'attaques "partielles" sans cohésion, sans but précis, sans résultat que des cadavres qui s'amoncellent et des blessés qui gisent plaignant ! C'est la période où les munitions manquent, où l'on ne s'organise pas encore, chaque jour apportant son espoir de reprendre la marche en avant vers la libération du pays, ce sont les longues journées énervantes et les nuits plus longues encore. Quelquefois nous bénéficions d'une relève et d'un cantonnement derrière les lignes. Qui ne se souvient de la désolation de ces villages de l'AISNE, à demi détruits, à moitié ravagés dans lesquels nous étions trop heureux de retrouver un peu de vie normale, une soupe chaude, un peu de paille sèche, le verre de pinard ! On s'y réorganisait, hommes et cadres, avant d'aller reprendre l'interminable faction devant les lignes allemandes ! Cette vie avait au moins un avantage celui de mieux connaître ceux qui nous commandaient. Déjà notre commandant de compagnie avait une réputation. Parmi les autres saint-cyriens du régiment tous braves certes, il était apparu comme le plus intrépide et le plus ardent. Il s'était battu comme un lion pendant la Marne, entraînant   irrésistiblement ses hommes , tellement fougueux, tellement magnifique qu'il s'était attiré ce compliment de son général de brigade, le général baron BERGE qui en était avare, le lui faisant transmettre par le capitaine BIGET son commandant de compagnie : "Dites-lui bien que LASALLE(2) n'avait que 20 ans lorsqu'il faisait ses charges héroïques".
 
    Louis GUYETANT naquit à DÔLE le 20 décembre 1893 de parents modestes. Le père, professeur de l'enseignement libre à notre-dame du Mont Roland, établissement qu'il devait diriger pendant dix ans, était un modèle de haute conscience, un figure attachante par sa droiture, sa culture profonde et sa simplicité. Remarquable professeur de sciences, il devait mourir à la tâche le 12 avril 1913. La mère, cette petite femme au cœur si haut, à l'âme vaillante lui avait donné quatre enfants. Deux garçons, deux filles tous quatre élevés dans de rigides principes de morale, étroitement unis autour des parents, véritable tableau de la belle famille française. Principes élevés, vie toute de beaux exemples, d'une morale puisée à une foi catholique ardente, Louis GUYETANT avait travaillé sérieusement, à notre-dame du mont Roland d'abord, à Sainte-Geneviève de Paris ensuite où il alla préparer son concours d'entrée à Saint-Cyr. Car la vocation militaire était née de bonne heure dans cette âme d'élite. Il savait que sa génération serait peut-être appelée à venger nos défaites, il pensait que le premier devoir d'un Français, avant même de songer aux siens, était de se donner à la Patrie et n'avait-il pas répondu un jour à un camarade de Saint-Cyr exprimant ses craintes, au moment de la mobilisation :"Pour moi mourir pour la Patrie, c'est la plus belle mort". Peut-être déjà avait-il deviné sa destinée, accepté son sacrifice, pressenti son martyr ! À cette époque la loi voulait que chaque saint-cyrien accomplisse un an de service dans un régiment. C'est au 10ème d'infanterie à Auxonne que Louis GUYETANT fit son volontariat et gagna les galons de sergent. Il y travailla de tout son cœur, se donnant parfaitement à son métier, jamais rebuté par les mille tracasseries du service, apprenant à connaître les hommes dont il savait devoir un jour être le chef. Au moment où la mobilisation  surprit la France, Louis GUYETANT pouvait penser qu'il était prêt !
Des caractères de sa trempe sont toujours prêts. Prêts à servir, prêts à combattre pour leur Patrie comme ils sont prêts à combattre pour Dieu et la Foi catholique.
 
     Il avait rejoint d'enthousiasme le 44ème d'infanterie à LONS-LE-SAULNIER où le sort l'appelait. Affecté au 2ème bataillon détaché à MONTBÉLIARD en soutien d'une division de cavalerie, Louis GUYETANT avait gagné sa compagnie casernée au fort du LOMONT. Il était plein de joie, son unité étant de celles appelées les premières à la frontière. Le capitaine BIGET commandant la 6ème compagnie avait reçu ce gosse, comme il l'appelait, avec un mélange d'ironie et de confiance. Il l'attendait sans doute au feu et n'allait pas tarder à être fixé sur son lieutenant. Dès le 7 août 14 c'est la prise d'ALTKIRCH en Alsace où la 6ème compagnie est au premier rang des assaillants. Louis GUYETANT mène intrépidement la charge à la baïonnette. Dès les premières balles de shrapnell il a baissé le nez mais c'est pour mieux se redresser ensuite. Sous les obus il se domine, reste debout, se ballade à travers les groupes de tirailleurs qu'il encourage…."Cela ne fait plus peur" dit-il et le clairon sonne pour la charge finale. Devant lui la petite ville alsacienne apparaît. Au delà ce sont les hautes Vosges où l'allemand s'est solidement retranché et nous attend. Un cri parcourt les lignes sur un geste du colonel BOUFFEZ commandant le 44ème "En avant" "En avant". Comme des tigres enfonçant tout devant eux, franchissant barrières, ruisseaux, haies, les poilus du 44ème et du 60ème enlèvent les tranchées d'assaut !  Louis GUYETANT vole à la tête de ses hommes. Dans un irrésistible élan que rien ne saurait arrêter, sous la protection du 47ème d'artillerie, nos fantassins victorieux enfoncent l'ennemi, dépassent la ville et voient fuir devant eux les allemands désorientés. Cette page, une des plus belles de nos victoires d'Alsace en 1914, fut écrite par des hommes qui voyaient le feu pour la première fois.
 
     Puis c'est le repli à la frontière sous la pression d'un ennemi qui ressaisi s'est renforcé, c'est la reprise du mouvement vers MULHOUSE que la 14ème division reconquiert le 18 août, c'est l'embarquement enfin pour le Nord où nous avons perdu la bataille des frontières. Charleroi a permis l'invasion du sol français et la 14ème division est mise à la disposition du général MAUNOURY commandant de la 6ème armée. Le sous-lieutenant Louis GUYETANT s'embarque avec sa compagnie à Belfort le 24 août et rejoint la Somme où le 7ème corps est en train de se regrouper/ la 6ème compagnie prend part au combat de Cerisy-Gally le 28 août puis participe à la longue et décevante retraite sous Paris. Mais aux interminables marches succèdent maintenant le redressement. Joffre a conçu sa manœuvre qui va être superbement exécutée et où la 14ème division va se couvrir de gloire. C'est l'arrêt sur la Marne, c'est la bataille de l'Ourcq livrée par les forces du général Galliéni. Le 44ème est au premier rang. Il livre de furieux combats, contient l'effort de plusieurs régiments allemands dont il brise l'élan et dans une action tenace, ardente, magnifique il voit poindre le jour de la victoire. Du 3 au 8 septembre, durant une longue semaine Louis GUYETANT se montre un officier merveilleux, puissant entraîneur d'hommes. Casoar au vent, gants blancs à la main, épée haute il mène ses hommes sans soucie du danger et sans tenir compte du feu. Ce qu'il faut, ce qui importe en ce moment c'est l'exemple. Tout le reste est vain. Rien ne compte que l'effort à donner pour rejeter le boche hors de France. Rien n'existe que la Patrie mutilée, souillée et meurtrie. Il faut tenir et il faut vaincre  -  et nous vaincrons.
 
     C'est parce que de tels hommes ont existé, parce que des chefs de telle trempe ont su conduire nos troupes, leur communiquer la flamme, leur montrant l'exemple du courage et du sang-froid que la MARNE, malgré la fatigue, malgré la faim, malgré la soif sous un soleil ardent a pu inscrire son nom sacré parmi les plus belles victoires françaises de tous les temps. Louis GUYETANT s'y était dépensé sans mesure, sans souci de sa vie mais durant ces pénibles journées il était devenu un vrai chef. A la théorie de l'École, à l'entraînement du régiment il venait de joindre l'expérience de la guerre et dominait ses hommes de toute sa hauteur de chef. Et tout ceci avec le sourire qui ne l'abandonnait jamais aux pires moments. Il savait dire le mot qui réconforte, la blague qui amène des rires sur des visages défaits, avoir le geste qui donne la confiance et ranime l'espoir !
 
     La MARNE passée, vint la poursuite jusqu'à l'AISNE où l'on retrouva enfin les allemands hélas retranchés. Là ce fut l'arrêt devant une infranchissable muraille, puis l'on se réorganisa.
 
  Le capitaine BIGET promu chef de bataillon abandonnait alors le commandement de la 6ème compagnie au sous-lieutenant Louis GUYETANT qui se voyait nommé lieutenant dès le 17 novembre 1914 en récompense de sa belle conduite. Quelques jours avant, le 12 novembre, sa compagnie attaquant les forces allemandes avait progressé, sous le feu, de plus de 300 mètres. Enfoui avec ses hommes sous les tranchées bouleversées par le bombardement, le lieutenant GUYETANT avait gagné là sa première citation à l'ordre du corps d'armée(3) .
 
     Mais il était de ceux que le succès n'enivre point et se pensée fidèle s'en allait toujours vers cette maman, ces deux sœurs, ce jeune frère, demeurés à Dôle dans ce petit coin du Jura où la vie continuait. Il leur écrivait à chaque moment de répit, les encourageants, leur cachant les mauvais côtés de la guerre et ne leur parlant que des choses amusantes ou pittoresques.
 
    LORIOT un de ses camarades de Saint-Cyr, officier au 44ème, est "stupéfait", écrivait-il le 7 novembre, d'apprendre que nous allons jouer au football à 1800 mètres des Boches. "Nous avons un superbe terrain. Rien que dans le rectangle réservé aux joueurs on peut compter 12 trous d'obus de 105". Voilà le style et voilà le genre. Il est un peu demeuré un gosse malgré tout.
 
     Et l'automne passe et l'hiver vient. Le 44ème après de multiples combats est enfin retiré des lignes et se transporte dans la région de VILLEMONTOIRE (Aisne) où il sera mis à l'instruction. C'est ainsi que décembre surprend le 2ème bataillon au repos, cantonné dans une immense ferme où il se prépare à de nouveaux combats. Là l'existence est presque normale. Louis GUYETANT anime sa popote de son sourire, de ses réparties joyeuses, de son entrain. Toutefois devant son chef le commandant BIGET à l'allure si farouche et dont le cœur est cependant si grand Louis GUYETANT demeure réservé souvent intimidé, reste petit garçon et, pour l'avoir bien connu, c'est peut-être le seul défaut qu'on puisse relever chez lui. Il a au superlatif le sens de la discipline, de l'obéissance, du respect des traditions et des chefs mais libéré de la contrainte militaire il redevient lui-même.
               Le 12 janvier 1915, le 44ème RI est appelé en renfort sur la ligne de l’Aisne au nord de Soissons pour reprendre aux allemands l’éperon 132 à Crouy. Le régiment appartient à la 27ème brigade de la 14ème division. Georges Fourneret est à la 6ème compagnie. Après une halte à la verrerie de Vauxrot la brigade part à l’assaut à trois heures du matin, le 13 janvier. Le combat est acharné, Georges Fourneret assiste à la mort de son commandant de brigade, le commandant Biget, dont il recueille les dernières paroles. Puis vers la fin des combats c’est au tour de son chef de compagnie, le lieutenant Louis Guyétant, de disparaître. On ne retrouvera jamais son corps.
               Georges Fourneret, marqué par la personnalité de son lieutenant, rédigera un récit bouleversant de cet épisode et un éloge vibrant de ce jeune officier.
 
Extrait :
« On escalade les pentes, on enjambe des cadavres, on serre davantage son fusil tandis que les obus français commencent à éclater devant nous. Bientôt une, dix mitrailleuses allemandes se dévoilent : les baïonnettes sont hautes, les coups partent. Un cri de "En avant" se prolonge parcourant la ligne : c'est l'assaut ».
LOUIS GUYÉTANT
 

(1)   La 6ème compagnie appartient au 2ème bataillon du 44ème régiment d'infanterie, 27ème brigade de la 14ème division du 7ème corps de la 6ème armée.
 
(2)   Chevalier de Lasalle, général de cavalerie de l’Empire, 1775 – Wagram 1908
 
(3)   "Brillante conduite pendant l'action du 12 novembre. A maintenu sa compagnie dans le mouvement en avant, bien qu'une partie et lui-même aient été enfouis sous les tranchées bouleversées par les obus. Ont réussi à gagner plus de 300 mètres de terrain progressant homme par homme, s'y sont maintenus en se cramponnant au terrain"
 
(4)  Paul GUYETANT né le 18 mai 1897, engagé en octobre 1914, sous-lieutenant en 1917, capitaine, mort au combat au Maroc dans le RIF le 25 octobre 1932 à 35 ans.
Un destin forgé par l'histoire